Tribunal permanent des peuples : Les violations des droits de l'homme en Algérie

 

Résumé du Dossier n° 11 :
L’Islam dans le mouvement national algérien, avant l’Indépendance

(Mohammed Harbi)

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Religion de masse, l’Islam a, du VIIe au XIXe siècles, travaillé la société algérienne, modelé ses mentalités et ses comportements. Tous les grands mouvements de contestation des pouvoirs établis l’ont pris pour porte-drapeau. La continuité de la tradition musulmane s’est ainsi exprimée au cours de la résistance armée à l’invasion française de 1830, résistance menée par les confréries religieuses après la reddition de la classe militaire ottomane. La composante religieuse fut une donnée fondamentale du combat de l’émir Abdelkader (1807-1883) pour mobiliser derrière lui les Algériens, tout comme elle sera centrale dans le combat nationaliste de l’Association des oulémas (1931-1956), du mouvement messaliste (1927-1962) et du FLN, qui lance la guerre de libération en 1954.

Avec la colonisation, de dominants, les clercs lettrés passent à une position subalterne et la religion et ses ressources passent sous le contrôle direct du colonisateur, qui crée un clergé à son service. Dans l’entre-deux-guerres, l’Association des oulémas de Abdel El Hamid Ben Badis (1889-1940) entame une restructuration défensive de l’Islam algérien, au nom d’une conception nationaliste de l’identité qui fixe le musulman algérien comme celui qui a hérité l’Islam de ses ancêtres. La pensée politique et sociale des oulémas est naturellement marquée par la religion, perçue comme la seule force capable d’unifier les différents éléments de la société. Leurs efforts et la diffusion de la langue arabe ont fait école et ont poussé les populistes à agir dans le même sens et les confréries à moderniser leur système d’enseignement.

Malgré ses limites, l’action des oulémas a redonné confiance aux Algériens et incité les élites francophones à prendre en charge le passé de leur pays. Mais, coupées des masses rurales, ces élites considéraient la France comme leur modèle, mettaient l’accent sur la modernisation et rejetaient à l’arrière-plan la lutte de libération nationale, prise en charge par le mouvement de Messali Hadj (1898-1974) et les oulémas. Elles se sont ainsi trouvées en position de faiblesse face aux patriotes attachés au statut musulman et aux traditions. C’est avec la mobilisation populiste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’apparaît concrètement la centralité de l’Islam dans la problématique politique : contre ses adversaires, le mouvement messaliste se pose en bras séculier de la foi et entreprend de mobiliser les classes populaires en faisant respecter les interdits et l’ordre moral par la persuasion et aussi par la violence.

La première leçon que l’on peut tirer de l’expérience du mouvement national, c’est l’importance du décalage entre la culture des élites séculières fondées sur les théories de l’État national et celles des classes populaires prisonnières d’une conception patriarcale de la com-munauté nationale et qui ne disposent pour tout critère que d’une vague morale, sociale et religieuse, obscurcie par des siècles de confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. La deuxième leçon est le constat de la capacité du religieux à produire, dans des contextes donnés, un discours assez cohérent pour constituer une base de mobilisation. La troisième leçon, c’est que cette capacité mobilisatrice n’a rien à voir avec le contenu de la religion : si le religieux produit un discours mobilisateur, il le fait par l’intermédiaire d’acteurs politiques dont on peut décoder les stratégies et les techniques.

On ne peut comprendre les crises successives qui secouent l’Algérie depuis l’Indépendance si on ne tient pas compte de la volonté de ses gouvernants d’appliquer, d’une manière autoritaire et sans tenir compte de la réalité des faits, une caricature des schémas hérités du combat nationaliste : l’utilisation outrancière de références religieuses, combinée à un discours populiste socialisant, a masqué les processus souterrains et confus de sécularisation, occulté la profonde coupure entre les dirigeants et le peuple et alimenté par contrecoup l’islam politique, perçu par beaucoup, à partir de 1988, comme la seule alternative face à un pouvoir absolu injuste et corrompu.

 

TPP - Algérie