Tribunal permanent des peuples: Les violations des droits de l'homme en Algérie

 

Annexe 3

Fiches signalétiques de trois sessions du TPP

Session sur le Sahara occidental (Bruxelles, 1979)

Le Tribunal, présidé par François Rigaux (Belgique), était composé de Armando Uribe (Chili), Georges Casalis (France), Joë Norman (France), Jan Kulakowski (Belgique), Richard Baümli (Suisse), Léo Matarasso (France). Le tribunal avait été saisi d’une demande d’avis consultatif émanant du Front Polisario. Il a, au cours de cette session, examiné les points suivants :

— l’histoire du territoire, de sa population, l’occupation espagnole et les efforts de la communauté internationale pour faire appliquer le droit international,
— le droit à la décolonisation et à l’autodétermination,
— la consistance, l’étendue et la nature des liens entre le Maroc et le territoire ou les populations du Sahara occidental avant la colonisation de ce territoire,
— la légitimité et la légalité de la lutte du peuple sahraoui, sous la direction de son représentant unique et légitime le Front Polisario,
— la valeur juridique du traité conclu le 14 novembre 1975 à Madrid entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie,
— la violation, par le Maroc, du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance,
— la légitimité de la proclamation de la République arabe sahraouie démocratique.

Au vu des points examinés, les décisions du Tribunal ont été les suivantes :
— le droit des peuples à disposer d’eux même est une norme interprétative du droit international qui doit s’appliquer dans le cas du Sahara occidental,
— le Front Polisario conduisant au nom du peuple sahraoui et avec son soutien une juste lutte pour libérer une partie du territoire, d’une part, et étant reconnu, d’autre part, par l’OUA et de nombreux États, ses combattants doivent bénéficier du droit humanitaire de la guerre (convention de Genève de 1949),
— les liens ayant existé avant la colonisation entre le territoire et le royaume du Maroc n’ont jamais été des liens de souveraineté territoriale, comme les liens d’allégeance ayant un effet équivalent, ne peuvent exercer d’influence sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui,
— l’accord conclu à Madrid est nul et de nul effet,
— l’agression commise par les armées marocaines est un recours à la force prohibé par l’article 2 § 4 de la Charte des Nations unies,
— l’accord de paix entre le Front Polisario et la République islamique de Mauritanie a mis fin au conflit armé conformément au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination ; et l’invasion par les troupes marocaines des territoires évacués par les Mauritaniens porte sur des territoires qui n’étaient pas soumis à sa souveraineté au moment de la colonisation espagnole,
— dans l’exercice de son droit à l’autodétermination, le peuple sahraoui s’est légitimement constitué en État (la RASD),
— le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes impose aux États une double obligation :
* l’abstention de toute coopération militaire ou autre en vue de la répression d’un mouvement de libération nationale,
* le devoir de favoriser la décolonisation et l’autodétermination en fournissant à cette fin tout appui diplomatique et matériel.


Session sur l’Argentine (Genève, 1980)

Les membres du jury étaient : François Rigaux (Belgique), Louis Joinet (France), Salva-tore Senese (Italie), Léo Matarasso (France), Edmond Jouve (France), Eduardo Galeano (Uruguay), Giulio Girardi (Italie), Ernesto Melo Antunes (Portugal), Madjid Benchikh (Algé-rie), Benjamin Baümli (Suisse), James Petras (États-Unis).

Le TPP avait été saisi, dès sa fondation, par plusieurs organisations argentines, d’une plainte dirigées contre les gouvernements de dictature militaire en place en Argentine, faisant état d’une répression massive et organisée, qui leur semblait constitutive d’atteintes graves non seulement à la Constitution argentine et aux droits de l’homme, mais aussi aux droits fondamentaux des peuples, tels qu’ils sont reconnus par le droit international et proclamés par la Déclaration universelle des droits des peuples (Alger, 1976).

Durant la session, le Tribunal a eu à examiner :
— les faits, caractérisés par :
* de très nombreuses violations des droits de la personne : 15 000 disparitions, plus de 2 500 détentions arbitraires, caractérisées par des dossiers précis (273 dossiers de prisonniers disparus collectés en un mois) ;
* des atteintes lourdes aux droits collectifs, liés à l’état de siège et aux vingt-huit nouveaux décrets qui en ont renforcé les prérogatives et ont abouti à la suppression de la liberté d’expression, à la prohibition de la liberté syndicale, à une réorganisation économique et sociale anéantissant un passé de conquêtes importantes ;
— la destruction de l’état de droit, liée aux transformations du système argentin, caractérisé par :
* la structure institutionnelle mise en place par la junte, concentrant tous les pouvoirs de l’État dans les mains de la junte et du président de la République (lui-même nommé et révocable par la junte) ;
* la suppression des garanties fondamentales de la personne : forte limitation de l’habeas corpus, rétablissement de la peine de mort, mise en place de juridictions militaires spéciales ;
* la forte régression de la réglementation des rapports sociaux et des droits collectifs fondamentaux (suppression du droit de grève, épuration de la fonction publique, légalisation des licenciements sans motifs…) ;
* la soumission complète du pouvoir judiciaire : épuration des magistrats ordinaires, personnes impliquées dans des actes dits « de subversion » échappant par arrêt de la Cour suprême à la compétence du pouvoir judiciaire.
Au cours de son délibéré, le Tribunal a été amené à répondre aux questions suivantes :
— Y a-t-il, en Argentine, violation des droits de l’homme, individuels ou collectifs, au sens de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des instruments juridiques internationaux ultérieurs ?
— Les violations des droits de l’homme constatées revêtent-elles un caractère grave, systématique et persistant, constitutif de transgression d’une obligation internationale ?
— Les violations des droits de l’homme — lorsqu’elles prennent la forme de tortures, de disparitions — peuvent-elles être caractérisées juridiquement comme des crimes contre l’humanité ?
— Le régime institutionnel mis en place depuis le coup d’État du 24 mars 1976 a-t-il pour effet de violer le droit fondamental d’autodétermination du peuple argentin ?
Après avoir constaté la gravité, la variété des formes et la fréquence des violations des droits de l’homme par la junte et ses agents, le Tribunal :
— a déclaré que, outre les membres de la junte, tous les chefs ou hauts fonctionnaires assumant la responsabilité de services civils ou militaires impliqués dans des actes de torture, d’enlèvement ou de séquestration, étaient auteurs ou coauteurs ou complices de ces crimes contre l’humanité au même titre que tous les agents d’exécution ;
— a condamné le régime institutionnel mis en place depuis le coup d’État du 24 mars 1976 du chef de violation du droit fondamental du peuple argentin à l’autodétermination.


La session sur Elf et l’Afrique (Paris, 1999)

Le TPP avait alors François Rigaux (Belgique) comme président et Amar Bentoumi (Algérie) comme vice-président. Cette session (qui s’est tenue dans les locaux de l’Assemblée nationale) a été présidée par Gian Paolo Calchi Novati (professeur d’histoire à l’université de Pavie et membre de l’IPALMO, Institut pour les relations entre l’Italie et les pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient).

Les membres du jury étaient : Armando Cordoba (professeur titulaire à l’Université centrale du Venezuela, spécialisé dans les questions de développement économique) ; Madjid Benchikh (professeur de droit international, associé à l’Université de Cergy-Pontoise, premier président de la section algérienne d’Amnesty International) ; Ghazi Hidouci (économiste spécialisé dans les questions de planification, ancien ministre de l’Économie et des Finances de la République algérienne) ; Jayari Nayar (professeur de droit à l’Université de Warwick, Grande-Bretagne, coordinateur d’une session antérieure du TPP sur « Les sociétés transnatio-nales et les violations des droits humains ») ; François Houtard (sociologue, professeur à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique, directeur du Centre Tricontinental), Pierre Galland (président du Forum Nord-Sud, ancien président du comité directeur des ONG auprès de la Banque mondiale).

Le Tribunal avait été saisi par le collectif « Elf ne doit pas faire la loi en Afrique », regroupant vingt-neuf associations, dont une grande partie africaines. Le Tribunal a étudié les questions suivantes :
— la compétence du tribunal,
— le cadre politique et économique des activités des compagnies pétrolières en Afrique,
— le cas d’Elf : analyse des formes différentes de domination sous les présidences de C. De Gaulle, G. Pompidou, V. Giscard d’Estaing, F. Mitterrand et J. Chirac.

Il a rappelé les principes du droit malmenés par le groupe Elf-Aquitaine en Afrique :
— autodétermination largement amputée par le poids des retombées économiques de la manne pétrolière ;
— violation des droits économiques sociaux et culturels : faiblesse pour les habitants du revenu, du niveau de santé et d’éducation, pour des pays possédant de grandes richesses (par exemple le Gabon) ;
— droits civils et politiques tout aussi peu respectés (cf. histoire récente du Congo) ;
— domaine des droits démocratiques devenu le champ de l’intervention extérieure, avec la complicité de dirigeants souvent corrompus ;
— l’exploitation pétrolière se fait le plus souvent au prix de la pollution des zones concernées et au détriment des populations autochtones qui n’en perçoivent pas les bénéfices.
La responsabilité des entreprises transnationales devant être mesurées à l’aune du pouvoir qu’elles détiennent, le tribunal a conclu ses travaux par les recommandations suivantes :
— appel aux actionnaires de la société Elf-Aquitaine à s’informer sur les agissements de la société dans les pays africains où elle opère et à lui demander des comptes ;
— demande à l’Assemblée nationale française de constituer une commission d’enquête sur les relations entre le gouvernement français, la société et les gouvernements des pays africains où elle opère ;
— demande à l’Union européenne d’inscrire à l’ordre du jour de la négociation sur le renouvellement des accords de Lomé la question des rapports entre les compagnies multinationales pétrolières et les pays de la zone ACP, particulièrement les pays africains ;
— recommandation à la sous-commission de lutte contre les discriminations et pour la protection des minorités et à la Commission des droits de l’homme des Nations unies, pour qu’elles se saisissent de la question des violations des droits de l’homme et des peuples causées par les relations entre les compagnies multinationales et certains États.

 

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